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Thrak | chronique
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01- Vrooom
02- Coda marine 475
03- Dinosaur
04- Walking on air
05- B'boom
06- Thrak
07- Inner garden I
08- People
09- Radio I
10- One time
11- Radio II
12- Inner garden II
13- Sex sleep eat drink dream
14- Vrooom vrooom
15- Vrooom vrooom coda
02- Coda marine 475
03- Dinosaur
04- Walking on air
05- B'boom
06- Thrak
07- Inner garden I
08- People
09- Radio I
10- One time
11- Radio II
12- Inner garden II
13- Sex sleep eat drink dream
14- Vrooom vrooom
15- Vrooom vrooom coda
Horreur et Terreur par Doc
Thrak c’est avant tout un retour. En 1984, après 15 ans de service et de multiples changements de line-up dans lesquels Robert Fripp était la seule constante, King Crimson s’était éteint à nouveau.
C’est dix ans après que le groupe se reforme, tel le phoenix de ses cendres (pour faire lyrique), sur l’un des line-up les plus fameux, celui de Discipline : Fripp (guitare), Bruford (batterie), Belew (chant), auxquels s’ajoutent Trey Gunn (guitare) et Pat Mastelotto (percussions) pour sortir deux singles puis Thrak en 1995.
Cet album est définitivement l’un des plus sombres, violents, psychédélique et dissonants de la discographie de King Crimson. Il fait aussi parti des plus reconnus. Il se rapproche par certains côtés de Red (1974) et préfigure The Power To Believe (2003).
Dans la continuation du travail expérimental de Robert Fripp, la musique dans cet album est complètement terrifiante et terrifiée, psychédélique par moment, violemment agressive, continuellement dépressive, tétanisante, fortement déstabilisante et industrielle.
Le disque commence avec Vrooom, une piste déjà présente sur un single éponyme de 1994 marquant la reformation du groupe. Vrooom c’est le genre de morceau qu’on ne peut pas trouver dans un autre groupe que King Crimson. C’est typique de la musique dissonante, qu’à ma connaissance, seul King Crimson a utilisé aussi intensément. On pourrait dire que c’est un morceau exactement contraire au canon de la musique commerciale. Cette musique dissonante ce sont des notes mineures continuellement, des hurlements stridents de guitare, des enchaînements d’accords qui ne vont pas essemble etc. Et tout est soigneusement calculé pour être ainsi. Au final Vrooom dégage une atmosphère… de moteur automobile, avec klaxons, coups de freins, circulations chaotique, engrenages réguliers grinçants. A noter, au milieu de tout cela plusieurs passages tout à fait étranges, qu’on n’attend pas du tout, complètement lunaires.
Refermons la boucle tout de suite, l’album se clôture avec Vrooom Vrooom (cette fois une piste inédite) qui est en fait un superbe arrangement, comprenant beaucoup de passages nouveaux. Notamment les moments lunaires dont je parlais sont remplacés par d’autres, qui le sont tout autant ! Bref le même theme mais pas du tout deux fois la même musique. On peut remarquer comme différence principale que Vrooom Vrooom est moins dissonant mais bien plus noir que Vrooom.
Coda Marine s’enchaîne avec Vrooom, comme une suite, mais encore plus dissonante et abrupte. Tout un petit monde chaotique et strident défile et se bouscule à nos oreilles.
Walking On Air, ensuite, est une musique presque hawaïenne, improbable pour King Crimson, qui tranche complètement avec le sombre du reste du disque. On y trouve tout de même quelques nuages d’inquiétude, un peu comme dans une balade de Pink Floyd. Je pense que c’est volontairement un effet de surprise, un petit moment de gloire planante (cf le titre du morceau) avant de replonger dans les abysses infernaux de l’album.
En effet, on enchaîne avec B’Boom, un morceau menaçant qu’on verrait bien dans un film d’horreur. C’est essentiellement un exploit de batterie, mes respects donc au sieur Bill Bruford.
Ensuite, Thrak est sûrement la musique la plus violente du disque, dans une ambiance industrielle et moderne, B’Boom est comme son introduction. On dirait que les guitares crient de panique, que les notes se distordent comme les visages en proie à la terreur. Accords fracassants, dissonance, c’est un genre de musique poisseuse, mais qui reste élégante malgré tout, très travaillée.
Et pas de répit, le disque embraye sur une musique encore plus noire. Mais Inner Garden I est beaucoup plus lent, plus traînant, comme les ténèbres rampantes. Les paroles tournent autour de l’automne dans notre jardin mental, de la solitude.
« and suddenly she begins to cry
But she doesn’t know why
Heavy are the words that fall through the air
The burden on her shoulders”
Comprenez : le beau rêve de marcher dans les airs s’écroule sur lui-même. Alors que dans Walking On Air l’homme dit à sa femme, ne t’en fais pas je serais toujours là, tu peux marcher dans les airs, dans Inner Garden I, elle lui hurle « ne me laisse pas seule ».
Je salue ici le chant fragile qui semble pouvoir se briser à tout instant d’Adrian Belew.
La musique, très courte, est un lent arpège de guitare qui donne vraiment des frissons d’angoisse. Il n’y a aucun rythme, rien que le néant qui envahit le morceau. La deuxième partie (Inner Garden II), rejetée plus loin dans le disque, est exactement similaire : seules les paroles changent. Donc un morceau complètement psychédélique qui n’a rien à envier, niveau dépressif, à des groupes comme Anathema.
People est beaucoup plus rythmé. Une petite rock song, pas très joyeuse, mais avec un riff de basse détonant et même… un refrain ! Qu’est-ce qu’il y a de surprenant ? Eh bien il n’y a jamais de refrain – ni de couplet, ni de chorus, ni rien – chez King Crimson. People reste tout de même très mystérieux et inquiétant, surtout dans la fin.
Avec les deux parties psychédéliques de Radio on replonge dans le film d’horreur angoissant. Ce sont deux pistes d’ambiance : plages de synthé, notes traînantes etc.
Puis c’est One Time, une petite balade urbaine toute simple. Elle ne cherche pas à nous faire pleurer à coup de violons mais à nous plonger dans une profonde mélancolie. Tout rappelle les « grandes balades » de King Crimson : Epitaph et Moonchild. Je trouve cette discrétion de la musique, cette fragilité du chant, cette simplicité des paroles, cette honnêteté de l’ensemble particulièrement émouvant. Puissament symbolique, le morceau nous pousse à imaginer – à revivre – la solitude du monde.
Ce qui étonne beaucoup dans ce disque, par rapport aux albums des périodes précédentes, et même par rapport aux autres groupes des années 90, c’est la modernité du son et des morceaux. La piste la plus moderne est certainement Sex, Sleep, Eat, Drink, Dream véritable rock song, bien que toujours très sombre. C’est une dénonciation acide et désespérée de notre mode de vie, au fil de la musique on peut entendre Belew balancer abruptement : « I have a new canoe but it does not have a wheel », « empty t.v. ! », « chemical digital night » ou « I've got to get dressed to go out of my mind ».
Et le disque s’achève sur Vrooom Vrooom, comme on l’a dit, qui, avec sa grandiloquence, semble nous refermer la porte du monde horrible de Thrak que Vrooom avait ouverte.
Et pourtant il y a en dernier comme une piste cachée : après un silence prolongé, la musique terrifiante et ténébreuse ressurgit petit à petit, comme si nous avions ouvert la boîte de Pandore en mettant ce disque dans la platine et que quelque chose de monstrueux s’en est échappé pour se répandre sur nous et sur le monde.
+ r�agir [ 3 commentaires ]
Thrak c’est avant tout un retour. En 1984, après 15 ans de service et de multiples changements de line-up dans lesquels Robert Fripp était la seule constante, King Crimson s’était éteint à nouveau.
C’est dix ans après que le groupe se reforme, tel le phoenix de ses cendres (pour faire lyrique), sur l’un des line-up les plus fameux, celui de Discipline : Fripp (guitare), Bruford (batterie), Belew (chant), auxquels s’ajoutent Trey Gunn (guitare) et Pat Mastelotto (percussions) pour sortir deux singles puis Thrak en 1995.
Cet album est définitivement l’un des plus sombres, violents, psychédélique et dissonants de la discographie de King Crimson. Il fait aussi parti des plus reconnus. Il se rapproche par certains côtés de Red (1974) et préfigure The Power To Believe (2003).
Dans la continuation du travail expérimental de Robert Fripp, la musique dans cet album est complètement terrifiante et terrifiée, psychédélique par moment, violemment agressive, continuellement dépressive, tétanisante, fortement déstabilisante et industrielle.
Le disque commence avec Vrooom, une piste déjà présente sur un single éponyme de 1994 marquant la reformation du groupe. Vrooom c’est le genre de morceau qu’on ne peut pas trouver dans un autre groupe que King Crimson. C’est typique de la musique dissonante, qu’à ma connaissance, seul King Crimson a utilisé aussi intensément. On pourrait dire que c’est un morceau exactement contraire au canon de la musique commerciale. Cette musique dissonante ce sont des notes mineures continuellement, des hurlements stridents de guitare, des enchaînements d’accords qui ne vont pas essemble etc. Et tout est soigneusement calculé pour être ainsi. Au final Vrooom dégage une atmosphère… de moteur automobile, avec klaxons, coups de freins, circulations chaotique, engrenages réguliers grinçants. A noter, au milieu de tout cela plusieurs passages tout à fait étranges, qu’on n’attend pas du tout, complètement lunaires.
Refermons la boucle tout de suite, l’album se clôture avec Vrooom Vrooom (cette fois une piste inédite) qui est en fait un superbe arrangement, comprenant beaucoup de passages nouveaux. Notamment les moments lunaires dont je parlais sont remplacés par d’autres, qui le sont tout autant ! Bref le même theme mais pas du tout deux fois la même musique. On peut remarquer comme différence principale que Vrooom Vrooom est moins dissonant mais bien plus noir que Vrooom.
Coda Marine s’enchaîne avec Vrooom, comme une suite, mais encore plus dissonante et abrupte. Tout un petit monde chaotique et strident défile et se bouscule à nos oreilles.
Walking On Air, ensuite, est une musique presque hawaïenne, improbable pour King Crimson, qui tranche complètement avec le sombre du reste du disque. On y trouve tout de même quelques nuages d’inquiétude, un peu comme dans une balade de Pink Floyd. Je pense que c’est volontairement un effet de surprise, un petit moment de gloire planante (cf le titre du morceau) avant de replonger dans les abysses infernaux de l’album.
En effet, on enchaîne avec B’Boom, un morceau menaçant qu’on verrait bien dans un film d’horreur. C’est essentiellement un exploit de batterie, mes respects donc au sieur Bill Bruford.
Ensuite, Thrak est sûrement la musique la plus violente du disque, dans une ambiance industrielle et moderne, B’Boom est comme son introduction. On dirait que les guitares crient de panique, que les notes se distordent comme les visages en proie à la terreur. Accords fracassants, dissonance, c’est un genre de musique poisseuse, mais qui reste élégante malgré tout, très travaillée.
Et pas de répit, le disque embraye sur une musique encore plus noire. Mais Inner Garden I est beaucoup plus lent, plus traînant, comme les ténèbres rampantes. Les paroles tournent autour de l’automne dans notre jardin mental, de la solitude.
« and suddenly she begins to cry
But she doesn’t know why
Heavy are the words that fall through the air
The burden on her shoulders”
Comprenez : le beau rêve de marcher dans les airs s’écroule sur lui-même. Alors que dans Walking On Air l’homme dit à sa femme, ne t’en fais pas je serais toujours là, tu peux marcher dans les airs, dans Inner Garden I, elle lui hurle « ne me laisse pas seule ».
Je salue ici le chant fragile qui semble pouvoir se briser à tout instant d’Adrian Belew.
La musique, très courte, est un lent arpège de guitare qui donne vraiment des frissons d’angoisse. Il n’y a aucun rythme, rien que le néant qui envahit le morceau. La deuxième partie (Inner Garden II), rejetée plus loin dans le disque, est exactement similaire : seules les paroles changent. Donc un morceau complètement psychédélique qui n’a rien à envier, niveau dépressif, à des groupes comme Anathema.
People est beaucoup plus rythmé. Une petite rock song, pas très joyeuse, mais avec un riff de basse détonant et même… un refrain ! Qu’est-ce qu’il y a de surprenant ? Eh bien il n’y a jamais de refrain – ni de couplet, ni de chorus, ni rien – chez King Crimson. People reste tout de même très mystérieux et inquiétant, surtout dans la fin.
Avec les deux parties psychédéliques de Radio on replonge dans le film d’horreur angoissant. Ce sont deux pistes d’ambiance : plages de synthé, notes traînantes etc.
Puis c’est One Time, une petite balade urbaine toute simple. Elle ne cherche pas à nous faire pleurer à coup de violons mais à nous plonger dans une profonde mélancolie. Tout rappelle les « grandes balades » de King Crimson : Epitaph et Moonchild. Je trouve cette discrétion de la musique, cette fragilité du chant, cette simplicité des paroles, cette honnêteté de l’ensemble particulièrement émouvant. Puissament symbolique, le morceau nous pousse à imaginer – à revivre – la solitude du monde.
Ce qui étonne beaucoup dans ce disque, par rapport aux albums des périodes précédentes, et même par rapport aux autres groupes des années 90, c’est la modernité du son et des morceaux. La piste la plus moderne est certainement Sex, Sleep, Eat, Drink, Dream véritable rock song, bien que toujours très sombre. C’est une dénonciation acide et désespérée de notre mode de vie, au fil de la musique on peut entendre Belew balancer abruptement : « I have a new canoe but it does not have a wheel », « empty t.v. ! », « chemical digital night » ou « I've got to get dressed to go out of my mind ».
Et le disque s’achève sur Vrooom Vrooom, comme on l’a dit, qui, avec sa grandiloquence, semble nous refermer la porte du monde horrible de Thrak que Vrooom avait ouverte.
Et pourtant il y a en dernier comme une piste cachée : après un silence prolongé, la musique terrifiante et ténébreuse ressurgit petit à petit, comme si nous avions ouvert la boîte de Pandore en mettant ce disque dans la platine et que quelque chose de monstrueux s’en est échappé pour se répandre sur nous et sur le monde.
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